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Un restaurateur peut-il s’installer à côté de son concurrent et copier son menu ?

Le 15 octobre 2022
Un restaurateur peut-il s’installer à côté de son concurrent et copier son menu ?
Le simple fait pour un restaurant italien de s'installer dans les locaux mitoyens d'un concurrent et d'y proposer un menu certes identique, mais aux plats typiques de la gastronomie italienne, n'est pas, en soi, un acte de concurrence déloyale.

Un restaurateur peut-il s’installer à côté de son concurrent et copier son menu ? - Cour d’appel de Paris, 3 juin 2022 

Jusqu’où va la liberté de commerce et de l’industrie ? Comme nous le rappelons régulièrement dans ce blog, la liberté de commerce est une liberté fondamentale, et la libre concurrence est l’un des piliers du droit européen, et donc français. En droit français, la concurrence est libre, tant qu’elle est loyale. La concurrence n’est sanctionnée que lorsqu’elle est déloyale.

Qu’est-ce que la concurrence déloyale ? 

A partir de quel moment la concurrence devient-elle déloyale ? Quelles limites un commerçant doit-il s’imposer vis-à-vis de ses concurrents ? La Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt intéressant le 3 juin 2022 (n°21/00450) qui illustre par un exemple très concret le cas d’un commerçant qui pensait en toute bonne foi, mais à tort, qu’il était victime de concurrence déloyale.

Dans un même immeuble, un restaurant italien était propriétaire d’une salle, et locataire depuis 1978 d’une salle mitoyenne mais non communicante. En 2014, face au refus des bailleurs de percer une communication entre les deux salles, le restaurateur a donné congé à ces derniers et restreint son activité aux locaux dont il était propriétaire.

Les bailleurs ont alors trouvé un nouveau preneur en la personne d’un autre restaurant italien. 

L’ancien locataire des lieux, voisin et concurrent direct du nouveau venu se croyait pourtant protégé par une clause du règlement de copropriété qui interdisait aux propriétaires de locaux commerciaux de concurrencer les commerces déjà établis. Il a ensuite constaté non seulement que des livreurs venaient régulièrement récupérer chez lui des commandes passées chez son concurrent, mais également que ce dernier offrait à la clientèle exactement le même menu que lui.

S’estimant victime de concurrence déloyale, le restaurateur le plus ancien a poursuivi en justice son concurrent devant le Tribunal de commerce.

Un contrat peut-il protéger de la concurrence déloyale ?

En premier lieu, le restaurateur a avancé l’argument selon lequel le bail commercial signé entre son concurrent et son ancien bailleur était contraire à une clause de non-concurrence figurant dans le règlement de copropriété. 

Il est possible sous certaines conditions de restreindre la concurrence dans un contrat, par l’insertion d’une clause de non-concurrence. Il est important dans ce cas de veiller à la rédaction du contrat car cette clause doit être assortie de mentions particulières, notamment pour la limiter dans l’espace et le temps.

Cependant, l’insertion d’une clause de non-concurrence n’est pas toujours permise : c’est le cas des règlements de copropriété. 

La Cour d’appel de Paris, dans le cas de nos restaurateurs italiens, a relevé que tant la loi que la jurisprudence interdisent « les clauses d’un règlement de copropriété qui viennent restreindre la concurrence entre copropriétaires de l’immeuble ». La loi prévoit que ces clauses sont « réputées non écrites ».

Qu’est-ce qu’une clause réputée non écrite ?

Le demandeur a tenté de contourner cet obstacle en expliquant que tant un juge n’avait pas jugé la clause de non-concurrence du règlement de copropriété illégale, cette clause devait être respectée.

Or, la Cour d’appel de Paris a rappelé que « la clause réputée non écrite est censée n’avoir jamais été stipulée au contrat. Elle ne produit donc aucun effet juridique et ne saurait être applicable, ni opposable ».

En d’autres termes, lorsqu’une clause est réputée non écrite, elle doit-être simplement ignorée, comme si elle n’avait jamais existé. 

Le bail commercial est valide, et le restaurateur « historique » n’a donc pas été victime de concurrence déloyale par la seule signature du bail. 

Mais il disposait d’autres arguments relatifs cette fois au comportement de son nouveau voisin et concurrent.

Quelles sont les formes de concurrence déloyale ?

La suite de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris est intéressante car elle démontre que la concurrence déloyale est toujours une matière très concrète, jugée au cas par cas, et qu’il est fondamental d’en apporter la preuve.

La concurrence déloyale est protéiforme : c’est une notion qui peut correspondre à des situations abusives variées, non-écrites dans la loi mais reconnues par la jurisprudence (et donc fluctuantes) telles que le dénigrement, la désorganisation, le détournement de clientèle, etc.

Dans le cas qui nous intéresse, le comportement reproché au « nouveau » restaurant italien pouvait potentiellement revêtir l’un des cas de concurrence déloyale suivants, déjà reconnus par la jurisprudence :

  • d’une confusion dans l’esprit de la clientèle, qui confondrait les deux restaurants italiens, à cause, par exemple, du fait que l’enseigne du restaurant ne soit pas apposée sur la partie haute de la devanture, ou bien d’une proximité visuelle des devantures ;
  • de parasitisme, c’est à dire le fait de profiter des efforts de son concurrent sans rien dépenser. Il s’agirait dans ce cas du fait de proposer exactement le même menu que son voisin.

Conscient de la nécessité de disposer de preuves intangibles pour pouvoir agir en justice, le demandeur a eu l’excellent réflexe de faire réaliser des constats d’huissier, qui sont quasi incontestables. Mais attention. Que les faits constatés par l’huissier soient incontestables ne signifie pas qu’ils soient probants, c’est à dire qu’ils suffisent à prouver que le concurrent agit de façon déloyale !

 Comment prouver la concurrence déloyale ?

Pour juger s’il y a ou non concurrence déloyale, le juge procède toujours à une analyse très pragmatique des faits. Ici, la Cour d’appel de Paris a pris pour base les constats d’huissier versés au dossier par le demandeur pour rendre sa décision :

  • Concernant la confusion dans l’esprit de la clientèle : la Cour constate certes que l’enseigne du défendeur n’est pas apposée sur la partie haute de la devanture, mais elle relève également qu’elle est bien apposée sur la partie basse « très visiblement, en épais caractères gras de couleur blanche ». Elle souligne aussi que l’une des devantures est « entièrement noire » tandis que l’autre est « entièrement rouge ». De plus, attention, dans un procès commercial, à ne pas se tirer une balle dans le pied en déroulant son argumentaire : le restaurateur a cru bon de se plaindre auprès du juge « de voir s’adresser à elle des livreurs venant récupérer des commandes passées » à son concurrent. La Cour d’appel de Paris en a donc déduit que l'établissement du concurrent était « parfaitement identifié par la clientèle qui n’a pas été induite en erreur dans sa décision de consommation, ayant passé commande ou réservé » dans le restaurant concurrent.
  • Concernant le parasitisme : Rappelons d’abord, sans entrer dans les détails, que la jurisprudence considère, sauf exception, que pour des raisons d’originalité, les recettes et menus de restaurants ne sont pas en soi protégés par le droit d’auteur, et qu’il ne peut donc pas y avoir de contrefaçon de menu, ce malgré une proposition de loi visant à combler ce vide juridique. C’est pourquoi le restaurateur a agi en justice non pas sur le terrain de la contrefaçon, mais sur celui du parasitisme

La Cour d’appel de Paris a examiné précisément les menus des deux restaurants et conclu qu’ils proposaient tous deux des spécialités classiques de la gastronomie italienne (pâtes, pizzas…) « sous les noms par lesquels ces spécialités sont habituellement désignées (lasagnes bolognaises, pizza margarita, tiramisu) », de sorte que le défendeur n’a pas « copié le menu de sa concurrente afin de s’immiscer dans son sillage ». En d’autres termes, on ne peut pas reprocher à un restaurant italien de proposer des plats que l’on retrouve classiquement dans un restaurant italien, de même qu’on ne peut pas affirmer avoir fourni des efforts et dépenses particuliers pour élaborer un menu proposant des plats classiques qu’un autre restaurant de la même spécialité propose.

En revanche, l’issue de ce litige aurait peut-être été différente si le restaurant avait proposé des plats « signature », créés par lui seul, qui auraient été reproduits à l’identique par son voisin et concurrent, lequel aurait par ailleurs peint sa devanture dans des couleurs similaires et apposé une enseigne peu visible.

Si vous souhaitez protéger vos secrets d’affaires, si rencontrez des difficultés avec votre concurrent que vous soupçonnez d’être déloyal, ou au contraire si vous êtes accusé de concurrence déloyale par votre concurrent, votre avocat à Paris 16 vous aidera à préparer votre défense.

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Maître Axel Poncet