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Peut-on rompre brutalement les relations commerciales avec un client étranger ?

Le 22 août 2022
Peut-on rompre brutalement les relations commerciales avec un client étranger ?
En cas de litige commercial entre partenaires internationaux, il faut déterminer le droit applicable grâce à des règles complexes. Mais certaines lois françaises appelées "lois de police" ont la priorité. Est-ce le cas de la loi sur la rupture brutale ?

Un fournisseur français peut-il rompre brutalement les relations commerciales avec un client étranger ? Cour d’appel de Paris, 11 mars 2021

Il existe en France une spécificité juridique qui interdit à un commerçant de rompre de manière brutale les relations commerciales établies de longue date avec un partenaire. Pour rompre les relations commerciales sans engager sa responsabilité, il devra accorder à son partenaire commercial un préavis raisonnable

La question de l’application de cette loi dans un contexte international revêt une importance capitale dans une économie mondialisée où bon nombre de fournisseurs et de clients des sociétés françaises se trouvent à l’étranger. 

En particulier, la question se pose de savoir si l’article L442-1, II (anciennement L442-6, I, 5°) du Code de commerce, qui prohibe la rupture brutale des relations commerciales établies, est une loi de police.

Qu’est-ce qu’une loi de police ?

Pour comprendre ce qu'est une loi de police, il faut d'abord s'interroger sur la loi qui s'applique entre deux partenaires commerciaux en cas de différend.

Souvent, lorsque les parties sont de nationalités différentes, le contrat contient une clause qui désigne quelle est la loi applicable en cas de conflit.

En général, en l'absence d'une telle clause, les CGV du fournisseur désignent la loi de ce dernier.

Mais parfois, ni le contrat, ni les conditions générales ne déterminent quelle est la loi applicable.

Dans ce cas, en droit international privé français, pour déterminer si dans le cadre d’un litige international, le juge doit appliquer la loi française ou la loi étrangère, selon la règle de conflit (dite « savignenne »), qui a pour inconvénient d’être extrêmement abstraite, mais pour avantage d’être neutre et d’offrir une meilleure visibilité pour les parties, et donc une meilleure justice.

La règle de conflit consiste à rechercher dans un premier temps la catégorie de rattachement (la matière) à laquelle correspond la situation litigieuse. 

  • Par exemple : une succession. 

Dans un second temps, on recherche l’élément de rattachement correspondant à cette catégorie, qui déterminera la loi applicable

  • Par exemple, dans le cas d’une succession mobilière, on applique la loi du lieu du dernier domicile du défunt. 
  • S’il s’agit d’une succession immobilière, on applique la loi du lieu de situation de l’immeuble.

Une fois la loi applicable déterminée (que ce soit par le contrat ou par la règle de conflit), si la loi étrangère est désignée, le juge examine si cette loi est contraire à l’ordre public international, c’est à dire si elle est acceptable dans la société française, à défaut de quoi il appliquera la loi française.

Or, il existe des lois françaises qui font échec tant à la clause du contrat ou des CGV désignant la loi applicable qu'à la règle de conflit et dispensent le juge de procéder à cette recherche abstraite et fastidieuse de la loi applicable : il s’agit des lois de police.

Selon Phocion Francescakis, les lois de police sont des « lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays ». Elles revêtent une importance telle qu’elles sont d’application immédiate.

L’article L442-1, II du Code de commerce est-il une loi de police ?

Or la question du caractère ou non de loi de police de l’article L442-1, II (anciennement L442-6, I, 5°) du Code de commerce fait rage parmi les juristes, et le débat, alimenté par la Cour d’appel de Paris, semble loin d’être clos. 

Dans une première affaire dans laquelle un fournisseur allemand avait rompu brutalement des relations commerciales de deux ans avec son client français, la Cour d’appel de Paris, le 9 janvier 2019 (n°18/09522) avait jugé qu’il s’agissait d’une loi de police.

Or, un mois plus tard, le 28 février 2019, la même Cour d’appel de Paris a jugé exactement l’inverse (n°17/16475).

On pensait la question définitivement réglée depuis que la Cour de cassation, par l’arrêt « Expedia » du 8 juillet 2020 (n°17-31.536), publié au Bulletin et revêtant donc une certaine importance, avait jugé, concernant certes une autre pratique restrictive de concurrence mais issue du même article du Code de commerce, que : 

« Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable ».

Pourtant, par un arrêt du 11 mars 2021 (n°18/03112), la Cour d’appel de Paris a pris une nouvelle position pour le moins déconcertante. En l’espèce, une société canadienne reprochait à son fournisseur français d’avoir rompu brutalement les relations commerciales et arguait du fait que la loi française était une loi de police

La Cour, après avoir énoncé qu’au regard du droit de l’Union européenne la notion de loi de police doit être interprétée de manière stricte, répond :

« Les dispositions de l’article L442-6, I, 5° du code de commerce, quand bien même elles ont, en droit interne, un caractère impératif, contribuent à un intérêt public de moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles de participer au meilleur fonctionnement de la concurrence ; elles visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d’une partie, celle victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies, en lui laissant un délai suffisant pour se reconvertir. Dès lors, ces dispositions ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l’organisation économique du pays au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit la loi applicable au contrat. La qualification de loi de police est donc écartée ». 

Selon la Cour d’appel de Paris, il faut donc appliquer la règle de conflit pour savoir si la loi française s’applique.

Une piste pour y voir plus clair dans cet océan de contradictions pourrait résider dans le fait que dans l’affaire Expedia, la Cour de cassation relève que l’action avait été intentée par le ministre de l’économie, contrairement aux faits jugés en mars 2021 qui concernent effectivement des intérêts privés. Rien n’est moins sûr.

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Maître Axel Poncet